Ce titre est volontairement provocateur puisque chez Coup de Pousse, on fait la promotion des écogestes à travers notre livret “52 semaines pour changer mes habitudes”. Mais c’est justement parce qu’on en a fait notre credo qu’il est important de le remettre en question. On vous embarque dans notre introspection avec cet article qui n’a pas la prétention de faire un traitement exhaustif du sujet mais qui, on l’espère, alimentera votre réflexion

Les écogestes, qu’est-ce-que c’est ?

Ce mot n’étant pas (encore) entré dans le dictionnaire, on peut se baser sur la définition de l’écocitoyenneté du Larousse : “Comportement individuel ou collectif consistant à observer les principes et les règles destinés à préserver l’environnement.” 

Un écogeste, c’est donc faire preuve d’écocitoyenneté, à l’image de la légende amérindienne du colibri popularisée par Pierre Rabhi : 

Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu.  Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! ». Et le colibri lui répondit : « Je le sais, mais je fais ma part. »

Mettre en place des écogestes, c’est “faire sa part”, comme le colibri, en modifiant certains de nos comportements : revoir notre façon d’acheter, nos modes de déplacement, limiter notre consommation d’eau et d’électricité, etc.

Les critiques envers les écogestes et notre analyse

Les écogestes (et plus particulièrement certaines pratiques comme le zéro-dechet) font l’objet de nombreuses critiques. On va revenir sur les trois critiques qu’on entend le plus souvent sur l’écologie individuelle, tout en vous donnant nos pistes de réflexion.

Les écogestes font peser la responsabilité sur les citoyens

Cet article de Mashable nous rappelle que c’est la compagnie pétrolière BP qui a popularisé à grands coups de publicité la notion dempreinte carbone (le bilan carbone individuel) en 2004. C’est sûr qu’il est plus confortable pour les entreprises les plus polluantes de culpabiliser les consommateur·rice·s que de pointer du doigt leurs propres émissions.

Citons également BNP Paribas, qui a mis en place auprès de ses client·e·s une fonctionnalité d’estimation de leur empreinte carbone en fonction de leurs dépenses personnelles, alors qu’elle est la première banque française en termes de financement des énergies fossiles.

Les politiques usent également de cette culpabilisation des individus pour se dédouaner de leurs propres responsabilités. En témoigne l’exemple de Barbara Pompili (ministre de la transition écologique), interrogée fin 2020 par la Convention Citoyenne pour le Climat au sujet de l’absence d’un moratoire sur la 5G, qui a préféré rétorquer “videz vos boites mails, ça serait déjà pas mal” que répondre à la question.

Peut-on reprocher à un·e citoyen·ne de prendre sa voiture pour aller travailler quand sa ligne de train a été supprimée par la SNCF ?

Peut-on en vouloir à quelqu’un d’avoir un compte bancaire à la BNP alors qu’iel y a été obligé·e en signant son prêt immobilier ?

A chacun·e d’en juger, mais pour nous, la réponse est non. Il nous semble donc important de ne pas perdre de vue que nous restons limités dans nos efforts individuels, puisque certains de ses efforts ne sont tout simplement pas faisables en raison de décisions qui ne nous appartiennent pas.

Les actions individuelles ne nous permettront pas de réduire suffisamment notre empreinte carbone

Le rapport “Faire sa part ? Pouvoir et responsabilité des individus, des entreprises et de l’état face à l’urgence climatique” de Carbone 4 sorti mi-2019 a répondu à cette question : c’est vrai, les efforts individuels ne pourront pas suffire à réduire notre empreinte carbone de façon suffisante.

Carbone 4 - Liste des actions individuelles (comportement héroïque)

Même dans l’hypothèse la plus optimiste où l’ensemble des français auraient un comportement dit “héroïque”, c’est-à-dire si tout le monde changeait ses habitudes au point de répondre à l’intégralité des critères du tableau ci-dessus, on ne pourrait espérer une diminution de nos émissions de CO2 de 2 tonnes par habitant·e soit -25% (un individu moyen générant 10 tonnes par an). Sachant qu’il faudrait une diminution de 80% (= une division par 5!) des émissions pour respecter les objectifs des Accords de Paris, les actions individuelles ne nous permettront d’atteindre qu’un tiers de ces objectifs.

Si on prend une hypothèse plus réaliste où les français·e·s font des efforts mais pas l’ensemble de ceux cités, on atteint seulement 5 à 10% de baisse des émissions de CO2.

Quand on découvre ces chiffres, ça peut sembler un peu déprimant. Mais attendez un peu avant d’engloutir une entrecôte de 300g et de réserver un vol pour nulle part en vous disant que de toutes façons, on est foutus !

Ce n’est pas parce que c’est insuffisant que c’est inutile, loin de là ! 

Comme le rappelle la conclusion du rapport, l’impact des efforts individuels est indéniable, donc même s’ils ne sont pas suffisants, les écogestes sont absolument nécessaires. Et d’autre part, ils sont actionnables par nous et par nous seuls, c’est-à-dire que si nous ne le faisons pas, personne ne le fera pour nous. 

Nous pouvons donc jouer un rôle direct sur nos émissions, c’est plutôt chouette, non ?

Les écogestes sont réservés aux classes sociales les plus aisées

L’écologie individuelle est souvent taxée d’écologie “de riche”…et c’est en partie vrai. Cela n’a rien d’étonnant d’ailleurs, les inégalités sociales -au même titre que les inégalités raciales et sexistes- sont présentes partout, y compris au sein du domaine environnemental.

Il ne faut pas oublier que ce sont les riches qui polluent le plus : à l’échelle mondiale, 52% des émissions de CO2 cumulées entre 1990 et 2015 proviennent des 10% les plus riches (source : OXFAM). 

De l’autre côté du spectre, les pauvres sont pourtant ceux qui subissent le plus les conséquences du réchauffement climatique ; “les populations vivant dans des pays à revenu faible et à revenu intermédiaire faible sont en moyenne cinq fois plus susceptibles d’être déplacées à cause de catastrophes climatiques extrêmes et soudaines que les habitants de pays à revenu élevé” (source : OXFAM également).

Et il n’est ni nécessaire de se rendre au bout du monde ni de faire des hypothèses pour réaliser à quel point ces inégalités environnementales sont grandes : aujourd’hui en France, la pollution, les déchets ou encore les risques SEVESO touchent en premier lieu les pauvres.

Pour revenir sur nos écogestes, si certains sont accessibles à tous, d’autres requièrent des ressources financières et/ou un investissement en temps qui ne sont pas à la portée de tou·te·s.

Si on reprend les écogestes listés par carbone 4, une partie d’entre eux ne concernent que les classes sociales aisées :

  • ne plus/moins prendre l’avion implique qu’on avait les moyens de voyager en premier lieu
  • acheter zéro déchet et/ou bio reste plus coûteux que les produits premiers prix en supermarché
  • supprimer/réduire sa consommation de viande implique qu’on ait un budget suffisant pour choisir ce qu’on mange
  • etc. 

Quant à l’achat d’occasion, les personnes pauvres n’ont pas attendu des raisons écologiques pour s’y mettre. On peut d’ailleurs se poser la question : si on a les moyens d’acheter neuf, ne devrait-on pas laisser l’achat d’occasion aux personnes qui n’ont pas le choix ? Vaste question à laquelle @la_salade_a_tout (un super compte instagram qu’on vous conseille) nous propose une première piste de réflexion : faire attention à la rareté de ce qui est vendu.

Les friperies ont généralement beaucoup de stocks, on ne prive donc personne en allant y acheter ses vêtements. Il en est de même pour Vinted qui regorge d’articles. En revanche, si on a les moyens d’acheter plein pot, il serait plus correct de laisser les quelques paniers Too Good To Go de votre boulanger à celleux qui peinent à se nourrir.

Donc oui, certains écogestes ne concernent que les individus les plus aisés, c’est vrai. Mais puisqu’ils sont les plus grands pollueurs, n’est-ce-pas justement leur responsabilité de modifier leurs habitudes individuelles ?

En revanche, il ne faut pas oublier que c’est un privilège d’avoir le temps, l’argent et les capacités physiques pour mettre en place de nouvelles habitudes, et que, par définition, tout le monde ne l’a pas. 

Du coup, est-ce-qu’on va continuer à prôner les écogestes ?

Oui, bien sûr ! Comme on l’a vu, les écogestes sont absolument nécessaires à notre transition écologique. Mais nous ne devons pas perdre de vue que l’écologie individuelle a ses limites

  • elle ne suffira pas à elle seule à atteindre les objectifs de réduction de notre empreinte carbone
  • certaines décisions ne dépendent pas de l’individu mais des politiques publiques qui sont menées
  • tous les écogestes ne sont pas activables par tous de manière égalitaire (notamment en raison des écarts de revenus)

L’article traite surtout des impacts directs des écogestes, mais il nous semble important de conclure en parlant des impacts indirects, notamment sur :

  • les normes sociales : nous sommes influencés par le comportement de nos pairs. Si nous adoptons des comportements écologiques, on va favoriser ces mêmes comportements chez les gens que nous côtoyons. Il existerait même un “point de bascule social” : si 25% des gens adoptent un comportement, il se généralise.
  • l’action collective : des études récentes ont trouvé une corrélation entre l’écologie individuelle et l’engagement politique dite “non-conventionnelle” (le militantisme, en gros), c’est-à-dire que les personnes qui pratiquent les écogestes sont les mêmes qui participent à des formes d’actions collectives. Certes, cela ne prouve pas que les écogestes amènent forcément vers un engagement politique, mais cela prouve que l’écologie individuelle n’empêche pas d’autres formes d’actions par ailleurs.
  • la légitimité des politiques : bien sûr, nous avons besoin d’une politique climatique d’envergure puisque nous avons vu que les écogestes ne suffiront pas. Mais les politiques n’iront pas à l’encontre des comportements citoyens. Par exemple, si une majorité des français n’a pas diminué/supprimé sa consommation de viande et de poisson, le gouvernement ne se risquera pas à imposer des menus végétariens quotidiennement dans la restauration collective. En revanche, si nous changeons nos comportements individuels, cela pourra contribuer à changer les mentalités, jusque dans les hautes sphères politiques. L’impact sera sûrement très modeste et cela n’a pas pour objectif de responsabiliser les individus, mais il s’agit tout de même d’un impact indirect à envisager.

Si cette notion d’impacts indirects vous intéresse, allez vite regarder la vidéo de Philoxime Les écogestes sont-ils futiles ?” qui nous a beaucoup inspiré·e·s pour cet article et qui explique tout ça bien plus en détail.

Et vous, que pensez-vous de l’écologie individuelle ? Avez-vous d’autres pistes de réflexion que celles mentionnées dans cet article ?

Vous êtes intéressés par les écogestes ? Découvrez notre livret « 52 semaines pour changer mes habitudes ».


Photos : Arseny Togulev, Kouji Tsuru, Denys Nevozhai, Muizur, Nathalia Segato sur unsplash.com, Séb Mar sur Flickr